Bribes biographiques

Gérard Lemarquis
Je fus très actif dans les évènements de mai 68 (j’avais 20 ans) et dans les mois qui ont précédé. Arrêté dans la cour de la Sorbonne le 3 mai où tout a commencé. Je fus membre du premier comité d‘occupation de la Sorbonne, où j‘aidais les comités d‘action à imprimer leurs tracts.
Déjà je commençais à réfléchir sur l‘égalité, et cet intérêt ne tarda pas à se changer en une obsession qui ne m‘a jamais quitté. Mais je ne trouvais personne à qui parler. Les maoïstes faisaient confiance au bon sens du peuple (George Orwell était déjà tombé dans le panneau avec son common sense) et l‘adoration du leader suprême était la négation même de l‘égalité. Les gauchistes, trotskystes et autres, croyaient encore à l‘inéluctabilité du communisme. Les spontanéistes étaient sympathiques, mais je sentais que derrière la démocratie directe se cachait l‘émergence de chefs exerçant une domination d‘autant plus insidieuse qu‘elle était sans contrôle.
Mon voyage en Suède, sur une petite mobylette grise l‘été 69 fut une révélation.
J‘y rencontrais une société concernée par l‘égalisation des conditions. Elle n‘avait pas été ébranlée comme la société française en 68 et avait le grand tort à mes yeux d‘être sociale-démocrate, mais elle était beaucoup plus avancée. Je faisais la plonge dans un grand hôtel, et j‘eus l‘occasion de faire un exposé devant des lycéens.
« Qu‘avez-vous obtenu?“, m‘ont-ils demandé. “Rien“, répondis-je fièrement.
Le refus de la récupération était à l‘ordre du jour. J‘étais aussi surpris par leur question qu’eux par ma réponse.
J‘ai enseigné à mon retour dans un lycée technique, et vécu 3 ans dans un foyer de jeunes travailleurs à Saint-Denis, pour financer une analyse psychanalytique dont je suis aujourd‘hui très reconnaissant, mais qui me bouffait la moitié de mon salaire. J‘appréciais tellement la vie du foyer que je redoutais d‘être obligé de le quitter à l‘âge de 25 ans. Aujourd‘hui encore, – est-ce un prolongement?-, mes meilleurs amis ne sont pas des intellectuels. Cela explique en tous cas que, à deux périodes très différentes de ma vie, j‘ai travaillé en Islande dans le poisson dans des villages où j‘ai logé dans des baraquements pour travailleurs itinérants.
Je me suis rendu en Islande comme touriste. Puis je m‘y suis installé. Le contrebassiste islandais de l‘hôtel où je faisais la plonge en Suède, avait eu le malheur de me dire que l‘Islande était la Suède en beaucoup mieux, une société plus égalitaire encore.
Je me suis marié, j‘ai eu des enfants. J‘ai acheté une belle maison en bois dans le centre de Reykjavik. J‘ai travaillé comme enseignant, j‘ai été correspondant de presse (essentiellement pour l‘AFP et le journal Le Monde). J‘ai écrit, pas mal traduit aussi, et voyagé avec passion. J‘ai observé la société islandaise sous toutes ses coutures, sa réussite, sa cohésion, son illusion d‘une société égalitaire qui est son moteur interne.
Enseigner fut un plaisir, et, j‘en suis convaincu, une joie partagée. La correspondance de presse fut une rude école, pendant une quarantaine d‘année. C‘est un travail solitaire, à distance (je souriais quand on en chantait les louanges pendant la pandémie). Les nouvelles d‘Islande franchissaient avec peine le goulet d‘étranglement de l‘actualité mondiale, les articles étaient réécrits, les interventions à la radio coupées. Mais quelle leçon! Il fallait traduire, décrypter, puis transmettre en évitant de dire des bêtises. J‘ai appris le recul, la force d‘inertie des idées reçues en Islande comme en France, le bonheur de raconter.


Et je me suis enfin décidé à écrire un livre sur l’égalité, Variations isologiques. Peut-être attendais-je que ma compagne et moi soyons, en partie par choix, en dessous du revenu médian pour pouvoir le faire avec honnêteté et conviction. J‘aime à croire que c‘est le cas. Gagner sensiblement moins que la moyenne en Islande reste un sort fort enviable à l‘échelle du monde. Mais cette spécificité, étant donné le sujet traité, me donne une place à part parmi ceux qui ont traité avec le plus de sagacité de l‘égalité.
Je suis aussi l’auteur de trois livres sur l’Islande, j’ai conçu et traduit une anthologie de la poésie islandaise. J’ai traduit Le Berger de l’Avent (Zulma), et sous-titré de nombreux films islandais en français.
Je suis aussi humoriste et mon spectacle de stand-up, en 2019 a affiché complet.
Né le 8 janvier 1948 à Vincennes.
École maternelle de la rue de l’égalité à Vincennes
Ecole Decroly, Saint-Mandé
LYCÉE DE Vincennes
Lycée de Montreuil.
Lettres supérieures au lycée Louis le Grand
La Sorbonne
Je vis depuis 50 ans en Islande, où j’ai partagé mon temps entre :
-L’enseignement au lycée de Hamrahlið et à l’Université d’Islande.
La correspondance de presse pour l’AFP (29 ans) et le Monde (40 ans). Chronique hebdomadaire en islandais dans Helgarposturinn.
-L’écriture de livres
-Le théátre : Ellihærisplanið, théâtre d’Hornafjörður.
-La traduction : Le berger de l’Avent (nombreuses rééditions), une Anthologie de la poésie islandaise.
-Le cinéma : traduction de scénarios et sous-titrage d’une douzaine de films. Acteur dans le film Noi Albinoi, aux côtés de mon fils Tomas.